Bruges, avril 2019
Les cygnes
Les cygnes blancs, dans
les canaux des villes mortes,
Parmi l'eau pâle où les
vieux murs sont décalqués
Avec des noirs usés
d'estampes et d'eaux-fortes
Les cygnes vont comme du
songe entre les quais.
Et le soir, sur les eaux
doucement remuées,
Ces cygnes imprévus,
venant on ne sait d'où,
Dans un chemin lacté
d'astres et de nuées
Mangent des fleurs de lune
en allongeant le cou.
Or ces cygnes, ce sont des
âmes de naguère
Qui n'ont vécu qu'à peine
et renaîtront plus tard,
Poètes s'apprenant aux
silences de l'Art.
Qui s'épurent encore en
ces blancs sanctuaires,
Poètes décédés enfants,
sans avoir pu
Fleurir avec des pleurs
une gloire et des nimbes,
Âmes qui reprendront leur
Œuvre interrompue
Et demeurent dans ces canaux
comme en des Limbes!
Mais les cygnes royaux
sentant la mort venir
Se mettront à chanter
parmi ces eaux plaintives
Et leur voix presque
humaine ira meurtrir les rives
D'un air de commencer
plutôt que de finir...
Car dans votre agonie, ô
grands oiseaux insignes,
Ce qui chante déjà c'est
l'âme s'évadant
D'enfants-poètes qui vont
revivre en gardant
Quelque chose de vous, les
ancêtres, les cygnes!
Georges
Rodenbach (1855-1898)
"Le règne du silence" Receuil de vers 1891
Sublime ...
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